21 septembre 2023, 7h28

21/09/2023

"Il n'y a pas de société idéale, parce qu'il n'y a pas d'hommes idéaux ou de femmes idéales pour la faire. Si une femme croit trouver dans un homme l'homme idéal, on peut dire qu'elle manque à la fois d'expérience et d'imagination, celle-ci dépendant d'ailleurs de celle-là. Pour une femme, l'homme idéal, pour un homme, la femme idéale, ne peuvent être par définition qu'une construction imaginaire, limitée à leurs connaissances, enfermée dans leur "culture" (Henri Laborit, Éloge de la fuite)

Enfermée dans leur Culture...

Nous sommes aujourd'hui le 21 septembre 2023, 7h28. Le Soleil se lève à l'Est...

Rien n'évoque mieux l'instantanéité de l'expérience à vivre que cette idée de partir avant l'aube, chercher le meilleur point de vue, et L'attendre... Plus rien ne compte alors que cet instant présent !... Et pourtant, quand bien même devrions-nous disparaître, quand bien même n'y aurait-il plus personne pour en témoigner... L'affirmation "Le Soleil se lève à l'Est" resterait vrai chaque matin, en chaque point (quasiment, nous sommes bien d'accord) de cette planète, aussi longtemps qu'elle tournera autour de son Astre.

"Le Soleil se lève à l'Est", pur instant présent, et moment de vérité intemporelle...

Enfermée dans leur Culture...

Le vendredi 25 août dernier est entré en vigueur le Règlement européen sur les services numériques, ou Digital Services Act (DSA) - Au passage, vous aurez remarqué que l'Europe est la première organisation supranationale sur cette planète à prendre pour langue officielle de ces institutions une langue qui n'est parlée dans aucun des pays membres... 

Pas de quoi en faire un fromage, me direz-vous. Dans l'état actuel des choses, ce règlement ne concerne que les plateformes et les moteurs de recherche avec plus de 45 millions d'utilisateurs actifs mensuels dans l'Union européenne... Et il ne s'agit que d'apporter une meilleure protection des internautes européens contre les contenus illicites, dangereux et préjudiciables...

Certes... Comme le disait un grand média national, il faut bien accepter le fait qu'il est parfois nécessaire de limiter nos libertés, pour éviter que nous n'en fassions mauvais usage (sic). Le monde est hélas rempli de tant de personnes dangereuses... Il faut être raisonnable (ce qui semble bien être le cas de la majorité de nos concitoyens, et de la totalité de nos médias) !... Je dois avoir l'esprit vraiment mal tourné pour que cette phrase "c'est pour votre sécurité" me fasse irrésistiblement frôler le point Godwin... Et pourquoi ce concept de "contenu illicite" (sans définition précise) et l'affirmation que (entre autre) les plateformes doivent traiter en priorité les signalements des organisations reconnues pour leur compétence et leur expertise, appelées "signaleurs de confiance"... me fait beaucoup plus penser aux "médias (soi-disant) indépendants de fact-checking" qu'aux "lanceurs d'alertes", auxquels nos états refusent toujours toute protection juridique...

Enfermée dans leur Culture...

Le premier septembre, c'était en Russie la "journée du savoir/de la connaissance", qui célèbre avec enthousiasme la rentrée scolaire. Chez nous, un des sujets dont les échos passèrent de salles des profs en réseaux sociaux était cette année le curieusement nommé ChatGPT, erronément qualifié d'IA, alors qu'il s'agit tout au plus d'un AS (Algorithme Sophistiqué), aucune intelligence là dedans... Ce qui semble tracasser beaucoup d'enseignants, de ce que j'ai pu entendre, c'est la possibilité de "tricherie" des étudiants qui utiliseraient cet outil (argument moral, ceci devrait attirer l'attention). Je soupçonne que ce qui les chagrine surtout, c'est le fait qu'ils s'inquiètent du risque de se trouver incapable de reconnaître et distinguer le travail de la machine de celui de l'élève qui le leur remet. Blessure d'amour propre en fait, doublée de la peur de perte d'autorité qui s'ensuivrait... Panique de se retrouver ainsi ridiculisé !

C'est humain, évidement, mais est-ce bien rationnel ? Depuis que nos ancêtres se levèrent pour libérer leurs mains, nous n'avons jamais cessé d'améliorer nos outils et d'en inventer de nouveaux, pour nous simplifier les tâches de toutes sortes qui nous incombent. Pourquoi serait-ce différent dans ce cas ? Dans tous les domaines de production, inventer et utiliser un outil plus performant est apprécié comme une plus-value. Pourquoi en irait-il autrement dans le cas de production "intellectuelle" ? Parce que c'est une chasse gardée, peut-être ? Dernier refuge d'une aristocratie culturelle qui se sent soudain dépossédée ? Dépossédée de quoi ? De son pouvoir, pardi ! Que l'artisan soit dépossédé de son travail par l'industriel qui le condamne à disparaître, c'est "un peu malheureux" dira-t-on. Mais bon, c'est la vie. S'il était vraiment si bon dans son domaine, en quelque sorte, il serait irremplaçable, non ? Reconnu comme un Maître, un "Trésor vivant" ! 

L'objet produit est jugé selon ses qualités. Non selon l'outil qui a servi à la fabriquer. Cela me semble sain. Imaginez que vos étudiants recourent à ce fameux ChatGPT pour rédiger le travail que vous leur demandez... Soit, après examen de l'objet fabriqué, vous y découvrez toutes sortes de malfaçons que vous sanctionnez, de manière juste, et ce sera un bel apprentissage pour l'étudiant, qui la prochaine fois, sera plus attentif et critique envers ce que lui propose la machine. Soit vous ne trouvez rien à redire à ce qui vous est présenté, en attribuer l'unique mérite à la machine me semble naïf, et l'on peut raisonnablement supposer que cela signifie que l'AS en question a été utilisée... avec intelligence... Savoir utiliser les outils à disposition avec intelligence, c'est aussi ce qu'on attend d'un élève, non ? Où est le problème ? Ne vous inquiétez pas inutilement. Profitez-en pour aborder des questions plus complexes et plus intéressantes...

Le premier septembre, c'était en Russie la "journée du savoir/de la connaissance", qui célèbre avec enthousiasme la rentrée scolaire. Chez nous, un des sujets dont les échos défrayèrent les réseaux sociaux était cette année l'EVRAS ! Le clash !... Entre des parents soucieux du bonheur de leurs enfants inquiets à l'idée de la dépravation dans laquelle nos écoles allaient entraîner leur progéniture, n'hésitant pas à diaboliser l'éducation nationale et sa ministre suppôt des turpitudes du wef... Et des parents soucieux du bonheur de leurs enfants inquiets à l'idée que leur progéniture ne soit pas préparée adéquatement face aux nouvelles réalités techno-socio-culturelles, n'hésitant pas à conspuer les premiers, extrémistes religieux psychorigides, réactionnaires d’extrême droite, complotistes (probablement antivax et poutinistes aussi... D'ailleurs !)

En cette matière comme en bien d'autres (je pense par exemple au retour en force, depuis peu, du climatoscepticisme, rebaptisé climatoréalisme, entre autres...), le scénario qui se joue est un affrontement de narratifs qui a pour effet principal d'assurer l'absence de débat d'idée, et la tranquillité du "business as usual"...

Non, on ne va pas apprendre à vos enfants à se masturber à l'école primaire... Non, la ministre, même si elle est contaminée par le virus néolibéral qui la pousse à croire que son rôle est d'imposer les recommandations des "spécialistes" (je reviendrai dans un prochain billet sur le rôle de ceux-ci) au peuple qui ne dispose, selon la doxa, ni des moyens, ni des informations pour savoir ce qui est bon pour lui, n'est pas sataniste. Elle fait, comme vous et moi, ce qu'elle pense être le meilleur pour nos enfants. Par contre, oui, il y a un sérieux et inquiétant problème idéologique dans certains documents venant (par exemple) de l'OMS... Mais de cela il n'est pas question de parler, simplement entre êtres humains doués de raison... Avoir un vrai débat argumenté et construit de manière épistémologiquement valide n'est plus de mode...

Ce qui nous ramène à l'enseignement.

Le premier septembre, c'était en Russie la "journée du savoir/de la connaissance", qui célèbre avec enthousiasme la rentrée scolaire. Chez nous, le point commun entre les deux évènements précités, c'est, me semble-t-il, une crise de confiance. 

Me reviennent en mémoire ces mots d'Hannah Arendt: "Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n'est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit en rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d'agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez." Notez qu’indépendamment de la notion de mensonge, qui suppose une intentionnalité, la simple diffusion permanente et simultanée d'informations indiscriminées et contradictoires produit le même effet.

Le premier septembre, c'était en Russie la "journée du savoir/de la connaissance", qui célèbre avec enthousiasme la rentrée scolaire. Et j'entends tant de gens qui aspirent, avec une certaine nostalgie, à ce bon vieux temps où nous pouvions, nous aussi célébrer le savoir, la connaissance, et où la société et l'école étaient porteuses de vrais valeurs et de respect... Ces mêmes personnes qui reprochent "aux russes" de ne pas se révolter pour renverser un ordre qui, vu d'ici, nous semble une oppression... Paradoxe bien humain.

Je n'en suis bien entendu pas exempté. Moi qui en bon anarchiste reste convaincu de la pertinence du constat implacable d'Ivan Illich :

"Qu'apprend-on à l'école ? On apprend que plus on y passe d'heures, plus on vaut cher sur le marché. On apprend à valoriser la consommation échelonnée de programmes. On apprend que tout ce que produit une institution dominante vaut et coûte cher, même ce qui ne se voit pas, comme l'éducation ou la santé. On apprend à valoriser l'avancement hiérarchique, la soumission et la passivité, et même la déviance-type que le maître interprétera comme symptôme de créativité. On apprend à briguer sans indiscipline les faveurs du bureaucrate qui préside aux séances quotidiennes, à l'école le professeur, à l'usine le patron. On apprend à se définir comme détenteur d'un stock de savoir dans la spécialité où l'on a investi son temps. On apprend, enfin, à accepter sans broncher "sa place" dans la société, à savoir la classe et la carrière précises qui correspondent respectivement au niveau et au champ de spécialisation scolaire."

Et qui, pourtant, sait pertinemment que ma capacité à faire tout le contraire, c'est précisément en y passant plus de temps que la moyenne que je l'ai acquise... 

C'est paradoxal ? Bien sûr !... C'est donc que nous touchons à quelque chose d'intéressant... "Alors qu'est-ce qu'on fait ?" Comme le disais quasi systématiquement ce cher Albert Doutreloux, mon professeur d'anthropologie, à la fin de chaque cours, avec un sourire en coin, on ne peut plus espiègle... "Eh bien, on se débrouille !"

Ainsi que le rappelait Erwan Castel dans une de ses excellentes chroniques "Lorsque le jeune Galaad dans la version allemande du cycle arthurien ("Parzifal" de Wolfram von Eshenbach) effrayé par les échecs de ses aînés aguerris demande au sage Merlin quelle sont alors les qualités permettant d'atteindre le Graal, ce dernier lui répond : une seule, le sens de la mesure!"

*   *   *

Sinon... Il y a une Journée Internationale dont absolument personne n'a parlé... (Mais pourquoi est-ce que ça ne m'étonne même pas ?...)

Le 21 septembre dernier, c'était la Journée Internationale de la PAIX !

En Occident, on préfère penser à autre chose, apparemment.




14 août 2023, 6h27

18 octobre 2023, 8h11