14 août 2023, 6h27
"Un jour peut-être, des archéologues venus d'une autre planète auront l'idée d'ériger un monument en notre mémoire. Si tel devait être le cas, ils ne pourraient choisir meilleure épitaphe que celle-ci: ci-gît une espèce douée d'intelligence, disparue faute d'avoir su l'utiliser..." C'est ce qu'écrivit John Brunner, en introduction au roman La fin du rêve de Philip Wylie, (1972)...
Nous sommes aujourd'hui le 14 août 2023, 6h27. Le Soleil se lève à l'Est...
Plus le temps passe, et plus cette phrase de John Brunner me hante. Nombreux, pourtant, sont les auteurs de fiction à avoir publié des œuvres prémonitoires dont la pertinence et l'exactitude sont aussi étonnantes que, apparemment, vaines... Mais, quand bien même la vision de Philip Wylie achèverait de se réaliser (nous n'en sommes pas loin...), resterait toujours cette affirmation: Le Soleil se lève à l'Est... Même s'il ne devait plus y avoir personne pour en être témoin. "Au commencement était le verbe", c'est déjà du narratif...
Une bonne partie des problèmes du genre humain ne viendrait-elle pas du fait qu'il semble bien avoir toujours préféré le narratif au réel. Tout autant que l'étude de l'Histoire, l'actualité nous en donne jour après jour, me semble-t-il, confirmation.
Un bel exemple, puisque cette série d'article se voudrait chronique des évènements qu'il nous est donné de vivre en ce moment d'histoire dont, si nous prenons un recul ne fut-ce que de quelques années, les caractéristiques semble paradoxalement de l'ordre de l'inimaginable, nous est fourni par le triste anniversaire en ce début août, des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki.
Que les "nouveaux maîtres du monde" en '45 aient imposé le narratif de propagande, depuis lors enseigné comme vérité historique à des générations d'écoliers occidentaux, prétendant que ces bombardements étaient nécessaires pour obliger le Japon à capituler, alors qu'il s'agissait juste, au prix de centaines de milliers de vies humaines, de faire la démonstration ce "celui qui a la plus grosse", et d'envoyer le message à Staline, est particulièrement monstrueux mais assez compréhensible. Transformation du pire crime de guerre de l'histoire de l'humanité en acte "pacifiste"...
Mais pourquoi diable, me direz-vous, cette version fut, et est toujours corroborée par les japonais eux-mêmes ?... Il y a, au moins, trois raisons pour lesquelles ce narratif, tout autant pour le Japon que pour les US était, et reste, préférable au réel.
Pour l'Empereur, personnellement, une reddition au motif que l'ennemi se trouvait soudain en possession d'une arme nouvelle, terrifiante et inégalable, était infiniment préférable à devoir admettre sa propre responsabilité, et ses erreurs stratégiques qui menèrent à cette issue de toute façon inévitable pour l'armée impériale. Pour les futures relations que le pays devait se préparer à avoir avec la "communauté internationale", cette terrible démonstration de force US permettait de mitiger l'image de bourreau, étant donné la façon dont les japonais traitèrent les pays occupés, en endossant celle de victime d'une horrible tragédie. En tant que pays occupé, enfin, adopter la version de l'occupant était nécessaire pour s'en assurer les bonnes grâces. Si les américains tenaient tant à cette version, pourquoi les contrarier ?...
Et, une fois que le pli est pris... Rien n'est plus difficile que de revenir sur un mensonge. Et qui oserait, dans la situation géopolitique actuelle, suggérer que peut-être, ce serait suite à l'écrasement de la coalition des armées mandchoues et japonaises par l'armée rouge que l'effondrement de l'impérialisme nippon en Chine, ne laissa d'autre choix au Japon que de capituler ?... Ce que le Japon était en train de faire, et ce dont les US étaient pertinemment au courant alors qu'ils préparaient leur "démonstration pour l'exemple"... D'autant que c'est toute la soi-disant "architecture de sécurité" de la guerre froide, de la dissuasion nucléaire et de l'Otan qui repose sur ce mensonge... Prétendre que la "dissuasion nucléaire est "nécessaire pour imposer la paix". En fabriquant des armes "pour ne pas s'en servir", alors que pour qu'il y ait dissuasion, il faut précisément être prêt à passer à l'acte (ce pour quoi ont été fabriquées les bombes d'Hiroshima et Nagasaki) ; et qu'elle n'impose rien d'autre que l'escalade de la menace réciproque.
"On nous apprend, en effet, - écrira Albert Camus dans son éditorial pour Combat le 8 août 1945 - au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifiste et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase: la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques."
Force est de constater que la question reste ouverte... Le choix reste incertain... Suspendu... Sur le fil...